Témoignage de la famille de Philippe
November 7, 2021
Témoignage de la famille de Philippe - mort le 14 juin 2021 à Longchamp
C'était un drame dont nous vous avions relayé l'appel à témoins. Aujourd'hui, nous en savons plus sur Philippe et les conditions de son accident. Sa famille a tenu à témoigner pour qu'aucune autre famille n'ait à vivre cela. Nous leur adressons une nouvelle fois toutes nos condoléances et tout notre soutient dans cette épreuve.
Voici leur message :
Le 14 juin 2021, en fin de matinée Philippe comme chaque lundi quitte son appartement pour aller s’entrainer à vélo sur l’anneau de Longchamp.
C’est un homme sportif : la marche, le vélo, le parapente.
Il attend avec impatience pour le lendemain le mail qui lui précisera son affectation suite à sa demande de mobilité dans le sud ouest.
Il a en effet décidé de quitter l’Ile de France, et de s’installer au plus proche de notre mère âgée de 88 ans qui vit à Pau et dont il est très proche.
Il fait très beau ce jour là, et déjà chaud en fin de matinée.
Il doit dîner avec un ami le soir.
Ils échangent un SMS à 10h52 pour caler l’heure du RV.
Philippe prépare son bol de fromage blanc, y ajoute quelques fruits rouges. Ce sera son encas gourmand lorsqu’il rentrera.
Il dépose ses lunettes branches ouvertes sur la commode de sa chambre.
Puis il part….
12h30
Le choc a été violent.
Un camion de livraison s’est stationné à la sortie du virage après l’entrée de l’hippodrome de Longchamp. Il déborde sur la piste de 60 cm, il est totalement interdit de stationner à cet endroit.
Philippe doit être absorbé dans son effort. C’est la fin de son entrainement son bidon d’eau est vide. Il garde la tête baissé, il est concentré, il ne voit pas le véhicule, ce véhicule stationné en toute illégalité qui déborde sur la voie cycliste.
Il va heurter l’angle gauche . Son casque éclate sous le choc.
L’intervention de cyclistes et d’une personne du PC de sécurité de l’hippodrome est rapide. Ils portent les premiers secours à Philippe.
Lorsque les pompiers interviennent et le transportent à l’hôpital Beaujon son diagnostic vital est engagé.
A aucun moment il ne reprendra connaissance.
Il est mort le vendredi 18 juin 2021 à 17H50.
Il a 57 ans, il est célibataire sans enfant, enseignant de Physique chimie au Lycée Molière dans le 16ème arrondissement. Il était mon unique frère.
Il ne rentrera pas chez lui pour manger son fromage blanc, et chausser à nouveau ses lunettes
Il n’avait que les clés de son appartement et de son hall d’entrée sur lui.
Aucune information permettant de rentrer rapidement en contact avec sa famille.
Pas de nom, pas d’adresse…
Son certificat de décès est établi sous X
Il est encore et toujours nécessaire de rappeler qu’il est nécessaire d’avoir sur soi l’information nom + N° d’appel d’une personne référente en cas d’urgence.
Deux lignes sur un papier, dans son casque, autour de sa selle, de son guidon… deux lignes qui peuvent éviter de se retrouver seul dans un service réanimation, loin de ceux qui vous aiment, qui sont dans l’ignorance, encore, du drame qui se met en place.
Ma famille, ma Mère, mes trois enfants, mon mari nous avons tous été "satellisés" sous le choc.
Rien ne prépare à une mort accidentelle.
Rien n’empêche de réécrire à l’infini le scénario de cette matinée et de cet accident.
C’est une tragédie que nous avons tous vécu.
Pourquoi ce camion était-il arrêté à cet endroit ?
Une livraison ?... vraiment … ?
Je suis allée sur les lieux.
Je voulais voir l’endroit où la vie de mon frère a pris fin.
Espace urbain, complexe, fréquenté par des voitures, des camions, des vélos, des prostituées… une signalisation insuffisante pour identifier une piste qui doit à l’usage et non à la réglementation, sa réputation auprès des cyclistes.
Ils sont nombreux, et depuis longtemps à venir régulièrement s’y entrainer.
Ce lieu m’est apparu clairement comme « « flou » au sens où les différents flux de circulation ne sont pas suffisamment signalés. Il est de ce fait accidentogène.
Combien de personnes y ont été accidentés, ou pire, y ont perdu la vie ces dernières années ?
La semaine qui a précédé son accident Philippe avait rapporté à notre mère avoir vu un cycliste allongé au sol, entouré de pompiers et mal en point selon lui : « tu pars de chez toi un matin heureux d’aller t’entrainer, et tu ne rentres pas… » avait-il dit….
Comment peut-on accepter en 2021 d’être privés de ceux que l’on aime parce que nos espaces urbains ne sont pas suffisamment sécurisés pour permettre aux cyclistes qui s’entrainent depuis plus de 100 ans autour de cet hippodrome de le faire en toute tranquillité ?
La ville de Paris, et notre époque vantent les mobilités douces, les villes sans CO2, l’autonomie des déplacements, l’activité physique…que sais-je encore…
Je ne peux pas admettre que la sécurisation des parcours et des personnes ne soient pas mieux prise en compte.
Comment peut-on expliquer cet état de fait ?
Comment accepter ces accidents qui se succèdent dans une forme d’indifférence, ou de fatalisme ?
S’agit-il d’une vision trop individualiste de la pratique du vélo ?
S’agit-il d’une difficulté collective à s’approprier et à décliner le sujet de la mise en sécurité des personnes ?
Comment peut-on accepter que cet anneau utilisé par des milliers de cycliste soit encore si peu sécurisé ?
J’ai pris la décision de ne pas m’y résoudre.
Après réflexion j’ai porté plainte au pénal contre la ville de Paris à la fin du mois de juillet.