Ultradistance à Longchamp
18 mars 2021
Enervé
Un jour de juillet 2019, Vincent Toussaint, la quarantaine, se gare le long de l’Anneau de Longchamp. Il sort son vélo et commence à rouler vers 7h30. Il se mêle aux « énervés », ceux qui envoient les watts avant d’aller au boulot. Eux partent travailler, Vincent continue. Va-et-vient de cyclistes. Vincent roule toujours, inlassablement. Fin de journée, des énervés du matin reviennent et ne sont pas surpris de le retrouver. Tout le monde sait pourquoi il est là. Vers 20h, enfin, il met le clignotant. Il range son vélo dans le coffre de sa voiture, appelle sa femme. Oui, il sera là pour dîner. Il rentre chez lui en Essonne. Il vient de faire 338km autour de Longchamp.
Champion
J’écoute Vincent me raconter sa journée du 338km, et je me surprends à me demander si c’est si difficile que ça, hésitant à aller acheter des gels et tester la distance le lendemain. C’est que Vincent la joue modeste : « 300km, finalement ce n’est que 3x100km ». Oui, certes. « La différence entre 270 et 300, ce n’est qu’1h de plus à Longchamp ». Oui, c’est vrai aussi. Evidemment, je suis en plein délire, 338km c'est irréel, totalement hors de ma portée. Car Vincent n’est pas n’importe qui. C’est un ancien coursier, et un bon. Champion du chrono de l’Île-de-France, champion de l’Essonne, vainqueur de la course de l’Escargot à Marcoussis et d’une douzaine d’autres. Il est entrainé, rigoureux dans sa préparation et sa gestion de l’effort et il a cette combativité, ce supplément d’âme pour aller plus loin que les autres, pour continuer à rouler quand on approche les 300km, quand chaque tour de l’Anneau fait vraiment très mal.
Pourtant, il n’y a rien à gagner. Aucune course officielle. Aucun temps à battre. Aucun public à satisfaire. Seulement Vincent, son vélo et sa volonté d’aller loin. Lui-même n’a pas d’objectif chiffré. Il a mis comme à chaque fois un sparadrap sur sa Garmin pour masquer le kilométrage. Il sait qu’il va passer les 300km et qu’il va en baver. C’est à peu près tout.
Malade
En 2013, on lui diagnostique un cancer du foie. Il en guérit mais les médecins lui annoncent que pour lui, le vélo, c’est fini. Il se voit à rouler en VTC sur les chemins, sacoches sur le porte bagages. Bof ! Très peu pour lui. Il se bat et peu à peu, il refaçonne son corps de cycliste. Mais la perte de puissance liée au cancer est irrémédiable. Il ne peut plus rouler aussi vite qu’avant. Alors il va rouler plus longtemps. Il fait des 220km, puis des 250, puis des 280. Passer les 300km, c’est son défi avec lui-même. Ni extraordinaire, ni ordinaire. C’est la distance qu’il s’est fixée, à son bon vouloir. En 2016, il réussit à franchir la barre des 300km. Jure de ne plus y revenir. Pourtant, il remet ça et fait 301. Annonce à sa femme que c’est fini. 302. Promis c’est son dernier. 303. Allez, on arrête ! Il fait finalement 4 ou 5 de ces sorties à 300km+ par an, jusqu’à ce jour de juillet 2019 où il veut « exploser son record ». Pour une fois, il ne met pas le nez à la fenêtre, reste bien caché dans les roues, n’essaie pas de sprinter contre les énervés. Bien campé sur sa machine, il avale les kilomètres. Il jette un coup d’œil à la Garmin. Woaw, nouveau record ! Encore quelques kilomètres pour profiter et voilà !
Dangereux
Vincent n’aimait pas Longchamp qu'il trouve trop dangereux faute d’échappatoires. Mais, il avait fait le tour de la vallée de Chevreuse alors il a insisté et très vite, a rempli son téléphone de numéros d’autres cyclistes croisés sur l’Anneau et s’est fait une bande de copains, des gars qu’il ne voit qu’à Longchamp, qu’il aurait du mal à reconnaitre sans le casque, mais qui sont fidèles au poste quand il envoie un texto demandant qui vient rouler ! Il a donc fait de Longchamp son camp d’entrainement, venant parfois 2 fois par jour. Longchamp, c’est aussi le lieu idéal pour se tester sur les très longues distances. Déjà, la question du ravitaillement est vite réglée. Il se gare le long de l’Anneau, la voiture remplie de victuailles, de boissons et de chambres à air. Surtout, il y a toujours du monde à Longchamp, permettant d’aller plus vite et de pouvoir parler avec quelqu’un quand les muscles commencent à tirer et la motivation vaciller.
Data
Quelques données pour les amateurs. Vitesse moyenne : 32,5km/h (inchangée à chacune de ses tentatives) ; fréquence cardiaque moyenne 170BPM ; perd 7kg dans la journée malgré une alimentation rigoureuse (20 bidons ; gel/pomme pote toutes les 30 minutes ; barre protéinée toutes les 2h)
Gabriel B.